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Mohamed Said Beghoul, expert en énergie : « Même si les quotas seront respectés, cela reste insuffisant pour équilibrer le marché du pétrole »

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Dans cet entretien, M. Mohamed Said Beghoul, expert en énergie et ancien directeur de Sonatrach/Division Oil & Gas Exploration, est revenu sur la prochaine réunion du Comité technique Opep et non-Opep prévue les 7 et 8 août à Abu Dhabi, afin d’étudier les raisons du non-respect des quotas de réduction de la production, ainsi que sur les facteurs à l’origine de la volatilité des cours de l’or noir.

Algérie-Eco: le Comité technique des pays de l’OPEP et non-OPEP se réuniront les 7 et 8 août à Abu Dhabi pour examiner la non-conformité de certains pays à l’accord de réduction de la production. Pourquoi ces pays signataires de l’accord visant à réduire de 1,8 millions de baril/jour ont du mal à le respecter?

Mohamed Said Beghoul : Déjà, au départ, à la veille de l’accord de Vienne en novembre 2016, des membres de l’OPEP ont refusé de réduire leurs productions (Iran, Iraq) ou rejeté les niveaux de leurs productions tels qu’avancés par le comité d’experts du cartel (Iraq, Venezuela). Les niveaux retenus par ce comité et servant de base pour le calcul des quotas de réduction, étaient inférieurs à ceux déclarés par les membres. C’est dire que le deal était conclu sur fond de dispute. Aujourd’hui, voyant que les prix n’ont pas atteint le niveau souhaité, chaque pays cherche à produire un peu plus pour vendre un peu plus. Pratiquement tous les membres OPEP ont dépassé leur quota de production mais l’Iraq avec un surplus de 69 000 b/j reste le «meilleur élève de la récréation».

L’Irak avait beaucoup insisté pour qu’il soit exempté en raison de la guerre contre l’Etat islamique.  Selon l’AIE, en mai dernier, le comité de suivi a estimé à 98% le respect total (OPEP-Non OPEP) du deal alors qu’il n’est que de 78% au sein de l’OPEP. La production a surtout augmenté en Libye, au Nigeria, en Angola, en Irak et en Arabie saoudite tandis qu’elle a décliné au Venezuela.

L’indiscipline et la tricherie au sein de l’OPEP restent une constante de cette organisation. Par exemple, dans l’accord OPEP-non-OPEP de novembre 2001, quand les prix ont glissé de 27 à 18 dollars, suite aux attentats du 11 Septembre, l’OPEP et les non-OPEP avaient décidé de  réduire leurs productions de 1,5 million b/j et 600 000 b/j, respectivement. Mais cet accord n’avais rien donné, les prix sont restés autour de 19 dollars, loin des 25 dollars espérés l’OPEP et pour cause le non-respect de l’accord.

Quelle est la conséquence de ce non-respect sur les prix?

Avec ce non-respect des quotas, la production de l’OPEP a atteint presque 33 millions b/j en juillet 2017 alors que le plafond convenu à Vienne était de 32.5 millions b/j durant six mois reconductibles. Bien évidemment ce surplus de 500 000 b/j, auquel il faut rajouter les volumes non déclarés, a pesé sur les prix qui peinent à dépasser la barre des 55 dollars. Même si les quotas de réduction seront respectés, cela reste insuffisant pour équilibrer le marché car non seulement il y a en face les schistes mais beaucoup d’autres producteurs non OPEP pompent à leur guise. Seul un effort de réduction supplémentaire et engageant toutes les parties pourrait booster les prix. Il n’est pas évident que la réunion des 7 et 8 août prochain, à Abu Dhabi, va améliorer les choses.

Certains facteurs considérés comme haussiers : baisse du dollar, les stocks américains en repli, crise politique au Venezuela et dans le Golfe … Est-ce que ces facteurs vont soutenir les prix à la hausse? Et pour combien de temps?

Oui, ce sont ces facteurs-là qui ont boosté les prix, la semaine écoulée, au-dessus de 50 dollars mais le dossier Venezuela reste le facteur le plus influant avec les menaces du président américain, Donald Trump, de suspendre les importations du pétrole vénézuélien en guise de sanctions. Pour combien de temps cela pourrait soutenir les prix, tout dépendra de l’option de sanction choisie par la maison blanche. Si les USA arrêtent l’importation du pétrole du Venezuela, ce dernier pourrait le vendre, à bas prix, à ses clients asiatiques (Inde et Chine en particulier) et préserver ses parts de marché. Les prix ne seront pas trop affectés. Il semblerait que suspendre les importations du pétrole vénézuélien n’arrangerait pas les marges bénéficiaires des raffineurs américains, premiers  clients du pétrole vénézuélien avec pas moins de 750 000 b/j. Il est fort probable que les sanctions contre Caracas vont plutôt consister en l’arrêt des exportations du pétrole léger américain vers le Venezuela, produit utilisé par ce pays pour diluer et produire son brut extra lourd qui est aussi très prisé par les raffineries américaines du golfe du Mexique. Dans tous les cas les prix ne tarderaient pas à se replier du fait que les gains qui seraient engendrés par les sanctions seront bénéfiques à la production des schistes qui d’habitude fait rechuter les prix.

Comment sont définis les quotas de réduction de la production ?

Lors de la réunion OPEP-non OPEP du 30/11/2016, à Vienne, il était convenu que chaque pays concerné par le deal doit réduire sa production d’un taux moyen de 4,6% de son niveau initial. Vraisemblablement la coupe totale de l’OPEP (1.2 million b/j) rajoutée à celle des non OPEP (600 000 b/j) devrait correspondre au surplus sur le marché qui avoisinait 1.5 million b/j. Mais cela n’a pas bien fonctionné jusqu’ici à cause du rebondissement des schistes, d’une part et du non-respect du deal par certains membres du cartel, d’autre part. Si les pays de l’OPEP tiennent à leur objectif d’équilibrer le marché, le taux de réduction doit être revu à la hausse, scénario très difficile à appliquer compte tenu de la situation économique des membres, d’où la nécessité d’extension des coupes aux pays jusqu’ici exemptés (Libye, Nigéria) d’autant plus que des pays non OPEP peuvent quitter le deal.  

Selon l’Agence internationale de l’Energie (AIE), l’Algérie est à 70% de l’application de ses quotas. Qu’en pensez-vous?

Au début de l’année on reprochait à l’Algérie de ne pas avoir respecté son quota de 1.039 million b/j en produisant 10 000 b/j de plus, ramenant ainsi, momentanément, sa coupe à 40 000 b/j au lieu de 50 000 b/j comme fixé par le deal. Cela représente une conformité de 80%. Mais cela reste pratiquement sans effet sur les prix comparativement aux dérives des autres pays OPEP à grandes capacités de production et qui ne sont qu’à moins de 50% de leurs engagements, à l’exemple de l’Iraq avec seulement 29% tout récemment et le Venezuela à 39%. En plus, l’Algérie, malgré son faible poids dans l’organisation et sa situation économique précaire, n’a que trop supporté les peines du cartel. En principe, si le quota de réduction d’un pays membre est estimé à plus ou moins 50 000 b/j, ce pays devrait être exempté aussi.

La Libye et le Nigeria ont été exemptés de l’accord d’Alger. Toutefois, le retour de l’Iran sur le marché pétrolier après la levée des sanctions et l’accord signé entre les deux factions rivales en Libye ne risquent-ils pas de déséquilibrer davantage le marché?

Les productions nigériane et libyenne, en nette augmentation, ont beaucoup pénalisé les prix.La production du Nigeria qui était de 2.2 millions b/j avant l’attaque de ses installations,  est tombée à 1,38 million b/j en septembre 2016 puis s’est élevée à 1.7 million b/j actuellement (condensats non inclus). Le Nigéria ne rejoindra les restrictions de l’OPEP que lorsque sa production atteindra 1,8 million b/j. Celle de la Libye qui était de 685 000 b/j en novembre 2016 est d’environ 900 000 b/j aujourd’hui. Le pays  ambitionne de la porter à 1.25 million b/j avant d’accepter son éventuel gel pour répondre aux souhaits de l’OPEP mais  l’accord signé tout récemment entre les deux frères ennemis libyens, sur  des élections «au printemps» n’est pas encore un pari gagné. Des accords du genre ont aussi été signés en 2015 et 2016 autorisant la réouverture des deux principaux ports pétroliers de Ras Lanouf et Es Sidr mais n’ont pu être concrétisés.

L’Iran a voulu atteindre son plateau d’avant les sanctions (4.2 millions b/j) mais a accepté de geler sa production à 3.9 millions b/j alors qu’elle n’était que d’environ 3 millions b/j aux débuts de l’année 2016. Ce retour de l’Iran et l’exclusion du Nigéria et de la Libye du deal ont déjà assez contribué à alimenter l’offre de l’OPEP, entravant l’équilibre du marché. C’est la raison pour laquelle l’OPEP vient d’inviter ces pays à rentrer dans les rangs du deal. Reste à savoir si la prochaine réunion des 07 et 08 août, à Abou Dhabi, arrivera à mettre tout le monde d’accord.

Face au pétrole de schiste américain, la stratégie de l’Arabie Saoudite, premier producteur du cartel OPEP, consistait à inonder le marché de pétrole pour défendre ses parts de marché et provoquer la faillite des producteurs américains. Cette stratégie est qualifiée par certains spécialistes de « gagnante ». Etes-vous d’accord avec cette vision?

Pas tout à fait d’accord. Lors de la réunion de l’OPEP, du 27 novembre 2014, l’Arabie saoudite a imposé une guerre des prix en forçant les membres du cartel à maintenir la production  de l’organisation à 30 millions b/j dans le but de casser la rentabilité des schistes. Le prix du baril à cette date était proche de 80 dollars et le ministre saoudien de l’énergie, de l’époque, croyait qu’à 60-70 dollars les schistes ne seront plus rentables. Mais avec l’innovation et la maitrise des coûts, réduits de 40%, certains gisements de schiste (en particulier celui du bassin Permien de Delaware à l’ouest du Texas) restent rentables même à 40 dollars le baril et c’est d’ailleurs grâce à ce gisement, qui produit 40% du pétrole de schistes, que la production américaine se porte bien aujourd’hui. C’est vrai que les 6 autres gisements sont relativement déplétés mais la fin des schistes n’est pas pour demain. Face aux schistes, l’Arabie saoudite s’est économiquement affaiblie avec une fonte de ses réserves de change de 737 milliards de dollars en 2014 à 546 milliards de dollars et un déficit budgétaire d’une centaine de milliards de dollars pour 2016.

Les mesures draconiennes entreprises par le gouvernement saoudien comme la diminution de 20% des salaires de ses ministres, l’introduction de nouvelles taxes, l’augmentation des prix de l’électricité et du carburant, la suppression des subventions, l’annulation de projets d’environ 266 milliards de dollars et le recours aux prêts extérieurs qui ont cumulé 100 milliards de dollars, est une preuve patente de la défaite saoudienne dans sa guerre contre les schistes au point où le royaume se montre aujourd’hui comme le membre de l’OPEP le plus motivé à baisser sa production et ses exportations pour équilibrer le marché. Entre vouloir inonder le marché en 2014 pour casser les prix et éponger le surplus en 2017 pour les raffermir, il y a deux stratégies diamétralement opposées. La première stratégie ayant échoué, qu’en sera-t-il de la seconde ?

Les producteurs américains vont-ils augmenter leur production, sachant qu’ils restent désormais rentables au-dessus de 45 $ le baril?

Les américains consomment environ 20 millions b/j (tous liquides confondus) mais ne produisent actuellement que 9,35 millions b/j. Certainement ils vont augmenter leur production pour couvrir, un tant soit peu, les importations. En 2018 ils prévoient de consommer 1.8% de plus qu’en 2017 et pour limiter les importations (environ 8 millions b/j), ils envisagent de porter la production à 10 millions b/j en 2018, dépassant le record historique de 9.6 millions b/j enregistré en 1970, à la veille du pic pétrolier. Les schistes du bassin Permien, rentables à 40-45 dollars devront produire, à eux seuls, 3 millions b/j, soit 30% de la production totale américaine.

 

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