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Mohamed Said Beghoul, expert en énergie : « Aucun partenaire n’est officiellement lié à l’Algérie par un contrat portant sur les schistes »

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Dans cet entretien qu’il nous a accordé, Dr. Mohamed Said Beghoul, expert en énergie, est revenu sur la valorisation des ressources non conventionnelles proposée par le gouvernement dans son plan d’action, afin d’augmenter ses recettes fiscales et faire face au déséquilibre budgétaire.

Algerie-Eco : L’Agence américaine EIA a publié en 2013 la carte des pays détenteurs de ressources de gaz de schiste. L’Agence place l’Algérie à la 3ème place mondiale. Quelles sont réellement les capacités de l’Algérie en gaz et pétrole de schiste et quels sont les basins identifiés jusqu’à présent?

Dr Mohamed Said Beghoul : Concernant le gaz de schiste, ce rapport, publié en juin 2013 par l’EIA (Energy Information Administration)  classe l’Algérie à la 4e position si l’on compte les États-Unis (USA, Chine, Argentine), avec 20 000 milliards de mètres cubes de gaz de schiste techniquement récupérables (9% du potentiel mondial).  À mon avis, ce chiffre est surestimé. Dans son rapport de 2011, la même agence avait attribué à la Pologne 5 300 milliards de mètres cubes de réserves puis 4000 milliards dans son rapport de 2013.  Mais ce chiffre a été divisé par cinq par l’Institut polonais de géologie qui l’a situé à environ 800 milliards de mètres cubes. Des majors, comme ExxonMobil, Total, ENI, Chevron,… ont abandonné leurs concessions pour des raisons économiques (exploitation non rentable).

Concernant l’Algérie, il n’y pas encore un rapport officiel interne d’estimation et on continue à véhiculer le chiffre avancé en 2013 par l’EIA (Sonatrach a juste fourni le data brut, sans être trop impliquée dans l’évaluation). Bien que les ressources en place seraient assez importantes, elles ne dépasseraient pas les 10 000 milliards de mètres cubes. Quant aux réserves de pétrole de schiste, l’Algérie ne figure pas dans le top 10 mondial du rapport de l’EIA -2013. Ce rapport les situe à environ 5.5 milliards de barils récupérables (1.5% du potentiel mondial). Géochimiquement parlant, les principaux bassins potentiels sont ceux du Sahara ouest (Ahnet-Timimoune- Reggane…) pour le gaz de schiste et les bassins orientaux (Illizi- Berkine…) pour le pétrole de schiste.

Quels sont les coûts d’exploitation de ces ressources et quel est leur taux de récupération comparé à celui des ressources classiques?

En principe, la rentabilité ne se mesure pas à base du seul coût d’exploitation, lequel comprend uniquement les coûts d’extraction des hydrocarbures (production), mais par le «coût technique» qui, lui, englobe, en plus du coût d’exploitation, les dépenses d’exploration et du développement,  les coûts de transport, voire de raffinage, de stockage et de distribution. Le «coût technique» étant largement supérieur au coût d’exploitation, ce n’est pas tous les projets producteurs qui sont rentables, même si le prix de cession est légèrement supérieur au coût d’exploitation. Beaucoup de compagnies ont subi ou côtoyé la banqueroute aux débuts de l’avènement des schistes mais les coûts dans leur ensemble, aux États-Unis, domaine de référence, ont énormément chuté (d’environ 40%) depuis le shale boom de 2008.

Le coût moyen d’un forage est passé de 10-15 millions de dollars à 4 – 6 millions de dollars aujourd’hui du fait de l’innovation technologique. On forait jusqu’à 3000 mètres de drain horizontal et on fracturait la roche tous les 100 mètres. Aujourd’hui, on fore des puits multi drains jusqu’ à 5000 mètres et on fracture la roche sur de longs intervalles tous les 30 mètres.  On fore désormais moins de puits pilotes (section verticale du puits) et on produit beaucoup plus en si peu de temps.

Selon l’EIA, pour le pétrole conventionnel, les compagnies  américaines ont un coût d’exploitation situé entre 10 et 30 dollars le baril tandis qu’il varie entre 50 et 70 dollars/baril pour le pétrole de schiste des gisements en déplétion et 30 à 40 dollars/baril pour les bassins encore potentiels comme celui du bassin Permien (West Texas) qui  recèle à lui seul, pas moins de 20 milliards de barils de pétrole de schiste techniquement exploitables et produit 2 millions b/j, soit deux fois les réserves et la production algériennes. En dehors des États-Unis, le coût de production du pétrole conventionnel varie entre 10 dollars/baril (Arabie saoudite) et 40 dollars/baril.

En Algérie, il serait de 22 dollars/ baril. Quant au pétrole et gaz de schiste hors États-Unis, les coûts de production seraient déjà supérieurs aux prix de cession, d’où leur non rentabilité dans les conditions économiques actuelles d’autant que pour les hydrocarbures non conventionnels, les taux de récupération varient de 2 à  5% pour le pétrole de schiste et 15 à 20% pour le gaz de schiste tandis qu’ils sont de 20 à 25% pour le pétrole et 70-80% pour le gaz, conventionnels.

L’Algérie a-t-elle les moyens financiers pour faire face aux investissements colossaux que nécessite l’exploitation de ces ressources non conventionnelles?

Il ne suffit pas d’avoir assez d’argent pour exploiter et rentabiliser ses schistes. Avec leur richesse financière et le monopole de l’expertise,  les compagnies américains ont trouvé des difficultés à exploiter leurs schistes et beaucoup d’entre elles ont abandonné ou geler leurs projets. Des majors auraient été contraints de déposer les armes sans l’aide de l’état en termes de fiscalité d’une part et la souscription de contrats d’assurance risque-rentabilité, d’autre part. L’option des schistes doit être vue comme un projet (un centre de coût) avec sa propre comptabilité analytique.

C’est vrai que disposant d’une solide manne financière autorise d’allouer un budget pour les schistes mais que cette allocation soit garantie par un retour d’investissement et un profit dans des délais raisonnables, ce qui n’est pas encore le cas pour nos schistes, même en période d’embellie. Pour l’Algérie, si les schistes étaient rentables rien n’empêcherait le pays d’y investir du moment qu’il dépense déjà, malgré la crise, des dizaines de milliards de dollars dans le conventionnel, devenu aussi coûteux mais plus rentable.

Les pays détenteurs de ces ressources ont-ils intérêt à les exploiter, sachant que le marché pétrolier est marqué par une surabondance de l’offre?

Le recours aux schistes est imposé par les besoins de chaque pays à l’image des États-Unis qui sont passés par leur pic pétrolier en 1970 avant de devenir premiers importateurs et consommateurs de la planète. Aujourd’hui, avec leurs schistes, les États- Unis  ont atteint leur objectif d’autosuffisance énergétique. Ils sont derrière cette surabondance de l’offre et deviennent exportateurs. Si les autres pays sont en mesure de rentabiliser leurs hydrocarbures non conventionnels, ils y trouveront certainement un intérêt en termes de besoins interne, même si l’offre sur le marché mondial surplombe la demande.

La perspective d’extraction d’hydrocarbures non conventionnels en Algérie présente une opportunité pour les géants pétroliers. Y a-t-il des sociétés étrangères intéressées par l’exploitation de ces gisements? 

Les dernières révisions de la loi 13-01 sur les hydrocarbures (en vigueur depuis le 09 mars 2013) ont introduit l’option de l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels, autorisant ainsi l’injection de certains  blocs présumés potentiels en gaz  de schiste dans le 4ème appel d’offres de 2014.  Lors de l’ouverture des plis, effectuée le 30 septembre 2014, sur les 31 périmètres lancés, seuls quatre blocs «  conventionnels» ont été pris par des consortiums dominés par des partenaires qui connaissent déjà le domaine minier algérien (Repsol, Shell, Statoil) mais aucune compagnie n’a manifesté le moindre intérêt pour les blocs  de gaz de schiste.  La décision d’exploiter le gaz de schiste en Algérie a été  officiellement avalisée par le conseil des ministres en date du 21 mai 2014 mais jusqu’au jour d’aujourd’hui, aucun partenaire n’est officiellement lié par un contrat portant sur les schistes.

Contrairement à ce que rapportent certaines sources, le contrat avec le groupe français TOTAL sur l’Ahnet ne visait pas le gaz  de schiste. Ce contrat signé le 17 janvier 2010, dans le cadre du second appel d’offre, porte sur le gaz conventionnel. J’ai même assisté à la séance de l’ouverture publique des plis. Il y aurait certainement des sociétés qui seraient intéressées par le «shale gas» algérien mais la physionomie du marché ne le permet pas encore.

Selon des experts, la fracturation hydraulique ou fracking, technique d’extraction des ressources non conventionnelles, présente un risque écologique non négligeable. A votre avis, le gouvernement prend-t-il en compte ce risque?

Le principal risque écologique évoqué chez nous est la contamination des nappes phréatiques par les éléments chimiques utilisés dans la fracturation hydraulique. Des retombées de ce risque sont certes prouvées dans certaines régions des États-Unis et du Canada mais la géologie de nos bassins sahariens montre que les chances d’occurrence de ce type de risque sont très minimes à absentes. Reste le problème du puits mal cimenté en tant que voie de contamination : cela n’est possible qu’à long terme, avec le vieillissement de la structure du puits. Tout gouvernement, algérien ou autre, doit prendre en compte tous les risques possibles et faire faire des analyses du risque par des experts en la matière avant de s’engager dans le forage.

Selon vous, l’Algérie ne devrait-elle pas développer un mix énergétique plus diversifié et parier à long terme sur les énergies renouvelables, au lieu de se lancer dans l’exploitation de ces ressources, en créant une dépendance permanente aux énergies fossiles?

Le développement d’un mix énergétique est devenu une affaire de tous les pays, pas seulement de l’Algérie. Mais personne ne peut se passer des énergies fossiles pour plusieurs décennies encore. Il y  a beaucoup qui pensent que les énergies renouvelables doivent se substituer aux énergies fossiles et ils oublient que plus d’un milliard et demi de véhicules roulent au carburant pétrolier, 97% du transport mondial utilise le carburant pétrolier, 60% de l’énergie consommée provient des hydrocarbures, etc.

Les énergies renouvelables sont, pour l’heure, un moyen d’appoint pour notamment la production d’électricité. Il aide à épargner quelques milliards de mètres cubes de gaz. Notre mix énergétique est en fait un «mix électrique» puisque depuis l’indépendance notre pays ne dispose que d’une seule source d’énergie, celle des hydrocarbures, pour la génération électrique qui reste encore contrôlé à presque 100% par le gaz.

En France, par exemple, le mix énergétique est composé de 40 % de nucléaire,  30 % de pétrole, 15 % de gaz, 10% d’énergies renouvelables et 5 % de charbon. Ce n’est que depuis juin 2014, avec la déprime du marché pétrolier, que les algériens ont commencé à parler de la nécessité d’un «bouquet énergétique» mais les ambitieux programmes de développement des énergies renouvelables en Algérie (filières photovoltaïque et éolienne notamment) patinent sur place, comparativement à nos voisins (le Maroc notamment). Je crois que nous nous sommes tellement habitués au pétrole qu’il va nous manquer.

 

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